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vendredi 27 juillet 2012

Les Plumes de l'Année - V

Bonjour les amis !
De passage avec une collecte de mot en T chez Asphodèle pour Les Plumes de l'Année.
Bonne lecture :)


La nouvelle était tombée avec autant de violence qu’un couperet. Clara sentait ce poids inerte dans son estomac lui brûler les entrailles.
Le notaire déposa la clé sur la table, encore accrochée à ce vieux porte-clés en cuir rouge qu’elle connaissait bien. Clara regarda fixement la clé dans un silence religieux sans montrer la moindre émotion. Le notaire, gêné par cette attitude détachée, s’éclaircit la gorge et prononça quelques formalités d’usage. Il conclut, pressé de se débarrasser de sa cliente peu avenante :
« Vous voici l’heureuse héritière des biens de feue votre grand-mère. Signez ce document s’il vous plaît, le deuxième exemplaire est à conserver. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, contactez mon assistante. Mademoiselle Bernard, ce fut un plaisir. »
« Excusez-moi de ne pouvoir en dire autant. »
« Oui en effet. Bien, je pense que tout est réglé. Bonne journée. »

Le soleil aveugla Clara dans la rue. Un vent tiède secouait les feuilles grasses des peupliers. Les rues de Vierzon étaient désertes en ce début de juillet. Seuls quelques passants résignés à aller au travail ou promenant leur chien rompaient la monotonie inhabituelle de la ville. Clara marcha tout au bord du trottoir, concentrée sur la fine bande de pavés qui le longe, tout en triturant la petite clé dans sa main. Quelques larmes discrètes coulèrent jusque dans son cou, témoins d’une déchirure profonde. Un océan de nostalgie l’envahit. Clara n’avait pas mis les pieds sur sa terre natale depuis dix ans et voilà que la vie la convoquait brutalement pour la confronter à son passé. Elle s’assit à la terrasse d’un café et commanda une menthe à l’eau. Elle dégusta le liquide sucré et réfléchit à ce qu’elle allait faire. La maison de ses grands-parents constituait un des rares refuges de sa mémoire où elle se savait cette liberté de vagabonder sans limites.

Elle prit sa voiture et roula à travers la Sologne, traversant étangs, forêts domaniales, vieux villages … Elle se sentait comme une tortue qui lutte pour avancer sans jamais voir l’arrivée. Sans vraiment faire attention et après plusieurs heures d’errance elle se retrouva devant la maison de ses grands-parents … La maison de son enfance, fidèle à ses souvenirs, figée dans le temps : le portail blanc grinçant, les parterres de géraniums, les thuyas, le potager avec les fraisiers et le arbres fruitiers, les clapiers avec les lapins pour les déjeuners en famille le dimanche, la terrasse avec la tonnelle, le barbecue en pierre à côté du tilleul, la vieille télévision du jardin pour regarder le Tour de France en juillet, la remise pleine de toiles d’araignée, la réserve de bois, les tonneaux entassés prêt de la vieille balançoire blanche, l’écurie avec les fûts de vins pour les vendanges et les croquettes pour chat que Clara et ses cousines mangeaient en cachette pour se défier, le banc où elle prenait le goûter, la brouette qui faisait office de bac à sable, l’arrière jardin où poussaient les patates … Clara avait découvert un jour où son grand-père binait le sol que les patates ne poussaient pas dans les arbres. Elle avait été très déçue de cette nouvelle, surtout d’avoir été naïve de croire que tout poussait dans les arbres.

Elle tourna la clé dans la serrure de la petite porte d’entrée. La fraîcheur de la vieille bâtisse la saisit et Clara se rendit compte qu’elle transpirait. Machinalement elle monta à l’étage et prit une douche. Le coucou sonna seize heures. Elle se sentait fatiguée de ses émotions et se coucha dans le lit où elle avait toujours dormi … Là, la pièce n’avait pas changé depuis la dernière fois : la moquette bleue, le bureau d’écolier, le décalitre en bois transformé en corbeille à papier, l’armoire en acajou sertie de dorures et d’un grand miroir, le plafond aux moulures géométriques, la peinture au mur et son inscription qui avait toujours titillé la curiosité de Clara « les talentueux », le lit massif sur lequel elle avait trébuché une fois et s’était ouvert l’oreille droite, découvrant pour la première fois ce liquide rouge et chaud …Tous ces souvenirs transfigurés se mélangèrent et l’emportèrent dans un sommeil profond.

Le lendemain elle se leva tandis que le soleil commençait à inonder la salle à manger et le salon. Dans la cuisine elle se fit du thé. Quelques tomates étaient restées sur la table, abandonnées à la va-vite par un contretemps. Elle alluma la radio comme le faisait sa grand-mère. Alors elle se rappela le carrelage trop froid pour ses pieds de petite fille, le lait dans la casserole qui sifflait, la vapeur qui embuait les lunettes de mamie, les petits pains suédois … Clara les appréciaient particulièrement car ils débordaient de beurre et à la maison elle n’avait pas le droit d’en tartiner autant. Elle fit le tour de la maison en buvant son thé … Sur la commode du bureau, des timbres avaient été découpés de cartes postales : Clara les recevaient à chaque lettre de sa grand-mère, les perruches dormaient dans leur cage : Clara les avaient crues immortelles mais elle avait découvert que sa grand-mère en achetait de semblables chaque fois que l’une d’elles mourait. Elle continua toute la matinée son exploration, touchant du bout des doigts chaque meuble, chaque étoffe, chaque photo au mur. Elle se laissa prendre dans une turbulence intense où ses sens étaient exacerbés, son imagination débordante, sa curiosité poussée à l’extrême … Elle jouissait de cette plénitude spontanée sans se soucier de la vie extérieure. Elle rassembla tous les souvenirs précieux qu’elle trouvait au fur et à mesure de son avancée puis les transféra dans le salon. Elle resta plusieurs heures à contempler ses petits totems du passé et à se souvenir. L’après-midi elle passa son temps au jardin : elle taillada les rosiers, cueillis les fraises, coupa des fleurs sauvages et mis de l’ordre dans la remise.

Clara se laissa vivre trois jours dans cette douce nostalgie. Puis lassée de tant de souvenirs, meurtrie par la disparition de ses proches et de ses années d’innocence, elle termina de ranger quelques affaires. 
Elle fit tourner une dernière fois la petite clé dans la serrure et décida qu’il était temps pour elle de vivre son présent pour devenir elle aussi un jour une grand-mère.