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dimanche 19 décembre 2010

Chapitre 7. Coup de coeur

Pour me faire pardonner mon absence bloguistique j'ai décidé de vous faire partager un petit bijou d'Anna que j'ai découvert la première fois en 2nde (c'est à dire il y a plus de cinq ans maintenant) en cours de français avec madame PATEL ... Dans un petit moment de nostalgie, j'ai relu ça hier et je me suis dit que je ne pouvais décemment pas vous faire rater ça (pour ceux qui ne connaissent pas ...) !


Anna GAVALDA, Happy Meal

Cette fille, je l’aime. J’ai envie de lui faire plaisir. J’ai envie de l’inviter à déjeuner.
Une grande brasserie avec des miroirs et des nappes en tissu. M’asseoir près d’elle, regarder son profil, regarder les gens tout autour et tout laisser refroidir. Je l’aime.
« D’accord, me dit-elle, mais on va au McDonald. »
Elle n’attend pas que je bougonne.
« Cela fait si longtemps…ajoute-t-elle en posant son livre près d’elle, si longtemps… »
Elle exagère, ça fait moins de deux mois. Je sais compter. Mais bon. Cette jeune personne aime les nuggets et la sauce barbecue, qu’y puis-je ? Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai autre chose. Je lui
apprendrai la sauce gribiche (würzige Kräutersauce) et les crêpes Suzette par exemple. Si on reste ensemble assez longtemps, je lui apprendrai que les garçons des grandes brasseries n’ont pas le droit de toucher nos serviettes, qu’ils les font glisser en soulevant la première assiette. Elle sera bien étonnée. Il y a tellement de choses que je voudrais lui montrer… Tellement de choses. Mais je ne dis rien. Je prends mon pardessus en silence. Je sais comment sont les filles avec l’avenir : juste prometteuses. Je préfère l’emmener dans ce putain de McDo et la rendre heureuse un jour après l’autre.
Dans la rue, je la complimente sur ses chaussures. Elle s’en offusque : « Ne me dis pas que tu ne les avais jamais vues, je les ai depuis Noël ! » Je pique du nez, elle me sourit, alors je la complimente sur ses chaussettes. Elle me dit que je suis bête. Tu penses si je le savais. C’est la plus jolie fille de la rue.
J’éprouve un haut-le-coeur en poussant la porte. D’une fois sur l’autre, j’oublie à quel point je hais le McDonald. Cette odeur : graillon, laideur vulgarité mélangés. Pourquoi les serveuses se laissent-elles ainsi enlaidir ? Pourquoi porter cette visière insensée ? Pourquoi les gens font-ils la queue ? Pourquoi cette musique d’ambiance ? Et pour quelle ambiance ? Je trépigne, les gens devant nous sont en survêtement. Les femmes sont laides et les hommes sont gros. J’ai déjà du mal avec l’humanité, je ne devrais pas venir dans ce genre d’endroit. Je me tien droit et regarde loin devant, le plus loin possible : le prix du menu best-of McDeluxe.
Elle le sent, elle sent ces choses. Elle prend ma main et la presse doucement. Elle ne me regarde pas. Je me sens mieux. Son petit doigt caresse l’intérieur de ma paume et mon coeur fait zigzague. Elle change d’avis plusieurs fois. Comme dessert, elle hésite entre un milkshake ou un sundae caramel. Elle retrousse son mignon petit nez et tortille une mèche de cheveux. La serveuse est fatiguée et moi, je suis ému. Je porte nos deux plateaux.
Elle se retourne vers moi :
- Tu préfères le coin fumeur, j’imagine ?
- Je hausse les épaules.
- Si. Tu préfères. Je le sais bien.
Elle m’ouvre la voie. Ceux qui sont mal assis raclent leur chaise à son passage. Des visages se tournent. Elle ne les voit pas. Impalpable dédain de celles qui se savent belles. Elle cherche un petit coin où nous serons
bien tous les deux. Elle a trouvé, me sourit encore, je ferme les yeux en signe d’acquiescement (pour dire que je suis d’accord). Je pose notre pitance sur une table dégueulasse. Elle défait lentement son écharpe, dodeline trois fois de la tête avant de laisser voir son cou gracile. Je reste debout comme un grand nigaud.
- Pourquoi tu ne t’assieds pas ?
- Je te regarde.
- Tu me regarderas plus tard. Ça va être froid.
- Tu as raison.
- J’ai toujours raison.
- Presque toujours.
Petite grimace.
J’allonge mes jambes dans l’allée. Je ne sais pas par quoi commencer. J’ai déjà envie de fumer. Je n’aime rien de tous ces machins emballés. J’ai un moment de doute. Que fais-je ici ? Avec mon immense amour et ma pochette turquoise. J’ai ce réflexe imbécile de chercher un couteau et une fourchette. Elle me dit :
- Tu n’es pas heureux ?
- Si, si.
- Alors mange !
Je m’exécute. Elle ouvre délicatement sa boîte de nuggets comme s’il s’était agi d’un coffret à bijoux.
Elle trempe ses morceaux de poulet décongelés dans leur sauce chimique. Elle se régale.
- Tu aimes vraiment ça ?
- Vraiment.
- Mais pourquoi ?
Sourire triomphal.
- Parce que c’est bon.
Elle me fait sentir que je suis un ringard, ça se voit dans ses yeux. Mais du moins le fait-elle tendrement. Pourvu que ça dure, sa tendresse. Pourvu que ça dure.
Qu’est-ce que j’aime le plus chez elle ? En numéro un je mettrai ses sourcils. Elle a de très jolis sourcils. En numéro deux, ses lobes d’oreilles. Parfaits. Ses oreilles ne sont pas percées. J’espère qu’elle n’aura jamais cette idée saugrenue. Je l’en empêcherai. En numéro trois, quelque chose de très délicat à décrire… En
numéro trois j’aime son nez ou, plus exactement, les ailes de son nez. En numéro quatre…
Mais déjà le charme est rompu : elle a senti que je la regardais et minaude en pinçant sa paille. Je me détourne. Je cherche mon paquet de tabac en tâtant toutes mes poches.
- Tu l’as mis dans ta veste.
- Merci.
- Qu’est-ce que tu ferais sans moi, hein ?
- Rien.
Je lui souris en me roulant une cigarette.
- …mais je ne serais pas obligé d’aller au McDo le samedi après-midi.
Je réfléchis à ce que nous allons faire ensuite… Où vais-je l’emmener ? Que vais-je faire d’elle ? Me donnera-t-elle sa main, tout à l’heure, quand nous serons de nouveau dans la rue ? Reprendra-t-elle son charmant pépiement là où elle l’avait laissé en entrant ? Où en était-elle d’ailleurs ?... Je crois qu’elle me parlait des vacances… Où irons-nous en vacances cet été ?... Mon dieu ma chérie, mais je ne le sais pas moi-même… te rendre heureuse un jour après l’autre, je peux essayer, mais me demander ce que nous ferons dans six mois… Comme tu y vas… Il faut donc que je trouve un sujet de conversation en plus d’une destination de promenade. Les bouquinistes peut-être… elle va râler… « Encore ! » Non, elle ne va pas râler. Elle aussi aime me faire plaisir. Et puis, pour sa main, elle me la donnera, je le sais bien.
Elle plie sa serviette en deux avant de s’essuyer la bouche. En se levant, elle lisse sa jupe et réajuste le col de son chemisier. Elle prend son sac et me désigne du regard l’endroit où je dois reposer nos plateaux.
Je lui tiens la porte. Le froid nous surprend. Elle refait le noeud de son écharpe et sort ses cheveux de dessous son manteau. Elle se tourne vers moi. Je me suis trompé, elle ne me donnera pas sa main puisque c’est mon bras qu’elle prend.
Cette fille, je l’aime. C’est la mienne.
Elle s’appelle Valentine et n’a pas sept ans.

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