Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas participé à un atelier chez Dame Asphodèle mais je suis bien heureuse d'être revenue avec un sujet aussi touchant !
A partir du texte suivant, voici les mots collectés pour nos textes :
"... car ceux qui ont perdu quelque chose, comment font-ils pour éprouver encore de la joie ? [...] ils connaissent désormais l'envers du décor."
Le roi disait que j'étais diable
Clara Dupont-Monod
temps - lire - ténacité - sidération - tour - regrets - déchirer - malgré - silence - bancal - résilience - pourquoi - aquarelle - fardeau - parenthèse - vide - rire - envol - vie - conscience - cœur - douleur - scintiller - symphonie - scène - sinueux
(nous pouvions en éliminer un, j'ai choisi aquarelle)
J'avais failli ne pas la voir, accrochée sur le rebord du pont, encore immobile, le visage mouillé de larmes, prête à se jeter dans le vide ...
- Tu veux sauter ?
- Allez-vous en !
- C'est que ... je ne peux plus maintenant.
- Pourquoi ? Vous n'avez qu'à tourner le dos et repartir dans votre belle petite vie !
- Euh, ma vie n'est pas toujours si belle tu sais ...
- Menteuse !
- Mais tu ne me connais pas !
- Ah non ?! En tout cas, si elle était si moche que ça votre vie, vous seriez du même côté du pont que moi !
- Non. Je m'accroche à la vie, c'est tout.
- Oui bin, c'est ce que je dis, elle est pas si moche votre vie ...
- Toi qui as l'air d'en savoir quelque chose, vas-y je t'écoute, comment elle est ta vie ?
- Laissez tomber, vous pouvez pas comprendre ...
- Si tu ne m'expliques pas, c'est sûr que je ne pourrai pas comprendre !
- Mais cassez-vous ! Qu'est-ce que vous voulez d'abord ? Je vous ai rien demandé, c'était pas la peine de vous arrêter !!
- C'est-à-dire que c'est une scène pas banale, je n'avais pas envie de manquer le spectacle.
- Et bin rideau, fichez le camp, il y a plus rien à voir !
Hé mais, qu'est-ce que vous faites ??
- Tu vois, je m'installe. Je m'assieds juste à côté de toi pour le prochain lever de rideau et j'aime mieux te dire que si ça dure longtemps, je préfère être assise.
Au fait, moi c'est J.
- ...
- Bon, et bien je vais te parler un peu de moi puisque tu préfères garder le silence ... Alors, j'ai 36 ans, j'habite en ville, je suis mariée depuis 3 ans. Je sais je me suis mariée tard mais bon j'ai pris mon temps pour trouver mon Jules ! Il faut être sûre que ce soit le bon tu sais ... Ah et je suis musicienne. Enfin en ce moment je me consacre à l'écriture d'une symphonie même si je t'avoue que c'est tr..
- C'est bon, c'est pas parce que vous êtes là que vous êtes obligée de parler. J'ai pas envie !
- Ah non ? Tu vois, moi je crois que si. Parce que sinon, tu aurais déjà sauté.
- N'importe quoi ! Vous me déconcentrez c'est tout ! J'étais en train de me préparer ...
- Te préparer à quoi ? Parce que si tu es prête à mourir, il faut y aller, il n'y a pas besoin de réfléchir. Si tu réfléchis, c'est que tu ne veux pas vraiment mourir ...
- Vous croyez tout savoir, vous me connaissez même pas et vous êtes là en train de me juger !
- Non, je ne te juge pas ... Je sais juste que si on ne saute pas tout de suite, c'est que ce n'est pas le moment ...
- Et comment vous pouvez savoir ça ? Vous avez déjà essayé peut-être ?
- Oui.
- Ah.
- Mais c'était il y a longtemps.
- Ah bon ... Et ... pourquoi ?
- Oh ... tu ne peux pas comprendre ...
- OK, je vois.
- Tu vois, nos vies sont un peu moches toutes les deux finalement.
- ... C'est que ... je ne sais pas comment faire ...
- Pour ?
- Avancer. Je veux dire, j'ai tellement mal. Comment on fait après ça ? Comment on continue d'avancer ? La vie sera plus jamais pareille ! J'ai l'impression que je ne pourrai plus rire de toute ma vie et que je n'aurai que des larmes !!
- Raconte-moi.
- C'est mon frère jumeau. Il est parti. Un accident de voiture ... stupide ...
- C'était quand ?
- Il y a trois mois. Mais j'ai toujours ce sentiment qu'il va surgir d'un moment à l'autre d'une cachette. J'ai toujours cette sidération qui me coupe le souffle et me fait tourner la tête. J'ai l'impression que mon cœur s'est déchiré en mille morceaux et malgré toute la colle que je peux mettre, il fuit de partout ! Je me sens si vide et en même temps si pleine de tristesse. Tout me rappelle mon frère. Je croyais qu'on ne pouvait pas mourir, je croyais que ...
- C'est normal. C'est le deuil. C'est très douloureux.
- Oui mais cette douleur me ronge, vous comprenez ? Combien de temps ça va durer cette souffrance ? Je voudrais que tout s'arrête et tout oublier ...
- Tu ne dois pas l'oublier ! La douleur, c'est lui, elle fait partie de toi, elle témoigne de son existence et c'est la marque de ses souvenirs qui se grave en toi ...
- J'ai l'impression que plus rien n'a de goût, que tout est fade, terne, bancal ...
- Ça passera, tu verras.
- Vous en êtes sûre ?
- Toutes les blessures finissent pas guérir. Mais ça ne veut pas dire qu'elles disparaissent. Il faut apprendre à vivre avec.
- Comment ?
- Il faut que tu sois forte, que tu fasses preuve de ténacité sinon tu n'auras que des regrets. Tu sais, la vie c'est comme un long roman, très sinueux, avec beaucoup de parenthèses, certaines plus belles que les autres. Et un jour, cette ténacité que tu as en toi te donne la force de lire tes chapitres de vie préférés, et de tourner ceux qui sont trop sombres. Tu dois choisir si tu décides de laisser ce fardeau t'écraser ou au contraire l'accepter avec résilience.
- C'est si dur. Je voudrais pouvoir prendre mon envol sur ce pont, que ma conscience quitte mon corps pour le rejoindre là-haut parmi les étoiles scintillantes et briller à ses côtés pour l'éternité ...
- Et s'il n'était pas là-haut mais juste à côté de toi et que tu devais prendre sa main et marcher avec lui ... ?
- Et pour aller où ?
- Je crois que tout n'est pas fini, si le pire est derrière toi, c'est que le meilleur reste à venir ...
- A votre tour de me raconter ...