Qu'elle soit d'eau, de vin, de rosée, de miel ..., une goutte tombe. Racontez-nous qui elle est, d'où elle vient, où elle va.
Une
goutte, je n’ai senti rien qu’une goutte.
Tous
les jours nous la voyions passer. Même les passants se retournaient pour la
regarder, même les garçons de café, même les automobilistes, même les petits
garçons qui donnaient encore la main, et nous autres, ouvriers sur nos
échafaudages que les longues journées nous permettaient d’observer les gens …
Sa
beauté nous enflammait tous sans exception. Nous nous sentions des dieux, nous
nous enhardissions à l’appeler lorsqu’elle passait. Nous rêvions de la serrer
dans nos bras, de l’embrasser dans le cou, de caresser sa peau, de sentir le
parfum de ses cheveux et de se perdre dans ses yeux. Elle était notre
distraction, notre attraction, notre grand-huit, notre cœur chavirant à chaque
coup de talon aiguille sur le pavé. Parfois le vent assez téméraire pour
soulever sa robe et souligner la beauté de ses courbes nous arrachait des cris de
transe et des sifflements de plaisir. Nous éructions de bonheur.
Tous
les jours cette scène se répétait et jamais nous ne nous lassions. Jamais elle
ne nous prêta attention. Jamais elle ne détourna son regard.
Ce
jour-là, elle était plus belle que jamais. Le soleil de la fin d’automne
rivalisait encore un peu avec elle avant de s’effacer avec les courtes journées
d’hiver. Elle traversa la route déterminée. Voulait-elle nous éviter ?
Nous avons crié plus fort que jamais, nous l’avons supplié de ne pas traverser,
nous lui avons hurlé de s’arrêter. Mais elle ne s’arrêta pas. La voiture non
plus.
Si
nous avions pu connaître son nom pour l’interpeller, si nous avions pu la
prendre dans nos bras pour la protéger, si nous avions pu …
J’ai
fermé les yeux. J’ai écouté le bruit, j’ai attendu le silence, j’ai senti une
goutte. J’ai ouvert les yeux pour recueillir cette larme. J’ai contemplé une
dernière fois sa beauté dans cette larme pourpre …
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