De passage avec une collecte de mot en T chez Asphodèle pour Les Plumes de l'Année.
Bonne lecture :)
La nouvelle
était tombée avec autant de violence qu’un couperet. Clara sentait ce poids
inerte dans son estomac lui brûler les entrailles.
Le notaire
déposa la clé sur la table, encore accrochée à ce vieux porte-clés en cuir
rouge qu’elle connaissait bien. Clara regarda fixement la clé dans un silence
religieux sans montrer la moindre émotion. Le notaire, gêné par cette attitude
détachée, s’éclaircit la gorge et prononça quelques formalités d’usage. Il
conclut, pressé de se débarrasser de sa cliente peu avenante :
« Vous
voici l’heureuse héritière des biens de feue votre grand-mère. Signez ce
document s’il vous plaît, le deuxième exemplaire est à conserver. Si vous avez
besoin de quoi que ce soit, contactez mon assistante. Mademoiselle Bernard, ce
fut un plaisir. »
« Excusez-moi
de ne pouvoir en dire autant. »
« Oui
en effet. Bien, je pense que tout est réglé. Bonne journée. »
Le soleil
aveugla Clara dans la rue. Un vent tiède secouait les feuilles grasses des
peupliers. Les rues de Vierzon étaient désertes en ce début de juillet. Seuls
quelques passants résignés à aller au travail ou promenant leur chien rompaient la monotonie inhabituelle de la ville. Clara marcha tout au bord du
trottoir, concentrée sur la fine bande de pavés qui le longe, tout en triturant
la petite clé dans sa main. Quelques larmes discrètes coulèrent jusque dans son
cou, témoins d’une déchirure profonde. Un océan de nostalgie l’envahit. Clara
n’avait pas mis les pieds sur sa terre natale depuis dix ans et voilà que la
vie la convoquait brutalement pour la confronter à son passé. Elle s’assit à
la terrasse d’un café et commanda une menthe à l’eau. Elle dégusta le liquide
sucré et réfléchit à ce qu’elle allait faire. La maison de ses grands-parents
constituait un des rares refuges de sa mémoire où elle se savait cette liberté
de vagabonder sans limites.
Elle prit sa
voiture et roula à travers la Sologne, traversant étangs, forêts domaniales,
vieux villages … Elle se sentait comme une tortue qui lutte pour avancer sans
jamais voir l’arrivée. Sans vraiment faire attention et après plusieurs heures
d’errance elle se retrouva devant la maison de ses grands-parents … La maison
de son enfance, fidèle à ses souvenirs, figée dans le temps : le portail
blanc grinçant, les parterres de géraniums, les thuyas, le potager avec les
fraisiers et le arbres fruitiers, les clapiers avec les lapins pour les
déjeuners en famille le dimanche, la terrasse avec la tonnelle, le barbecue en
pierre à côté du tilleul, la vieille télévision du jardin pour regarder le Tour
de France en juillet, la remise pleine de toiles d’araignée, la réserve de
bois, les tonneaux entassés prêt de la vieille balançoire blanche, l’écurie
avec les fûts de vins pour les vendanges et les croquettes pour chat que Clara et ses
cousines mangeaient en cachette pour se défier, le banc où elle prenait le goûter,
la brouette qui faisait office de bac à sable, l’arrière jardin où poussaient
les patates … Clara avait découvert un jour où son grand-père binait le sol que
les patates ne poussaient pas dans les arbres. Elle avait été très déçue de
cette nouvelle, surtout d’avoir été naïve de croire que tout poussait dans les
arbres.
Elle tourna
la clé dans la serrure de la petite porte d’entrée. La fraîcheur de la vieille
bâtisse la saisit et Clara se rendit compte qu’elle transpirait. Machinalement
elle monta à l’étage et prit une douche. Le coucou sonna seize heures. Elle se
sentait fatiguée de ses émotions et se coucha dans le lit où elle avait
toujours dormi … Là, la pièce n’avait pas changé depuis la dernière fois :
la moquette bleue, le bureau d’écolier, le décalitre en bois transformé en
corbeille à papier, l’armoire en acajou sertie de dorures et d’un grand miroir,
le plafond aux moulures géométriques, la peinture au mur et son inscription qui
avait toujours titillé la curiosité de Clara « les talentueux », le
lit massif sur lequel elle avait trébuché une fois et s’était ouvert l’oreille
droite, découvrant pour la première fois ce liquide rouge et chaud …Tous ces
souvenirs transfigurés se mélangèrent et l’emportèrent dans un sommeil profond.
Le lendemain
elle se leva tandis que le soleil commençait à inonder la salle à manger et le
salon. Dans la cuisine elle se fit du thé. Quelques tomates étaient restées sur
la table, abandonnées à la va-vite par un contretemps. Elle alluma la radio
comme le faisait sa grand-mère. Alors elle se rappela le carrelage trop froid
pour ses pieds de petite fille, le lait dans la casserole qui sifflait, la
vapeur qui embuait les lunettes de mamie, les petits pains suédois … Clara les
appréciaient particulièrement car ils débordaient de beurre et à la maison elle
n’avait pas le droit d’en tartiner autant. Elle fit le tour de la maison en
buvant son thé … Sur la commode du bureau, des timbres avaient été découpés de
cartes postales : Clara les recevaient à chaque lettre de sa grand-mère,
les perruches dormaient dans leur cage : Clara les avaient crues
immortelles mais elle avait découvert que sa grand-mère en achetait de
semblables chaque fois que l’une d’elles mourait. Elle continua toute la
matinée son exploration, touchant du bout des doigts chaque meuble, chaque
étoffe, chaque photo au mur. Elle se laissa prendre dans une turbulence intense
où ses sens étaient exacerbés, son imagination débordante, sa curiosité poussée
à l’extrême … Elle jouissait de cette plénitude spontanée sans se soucier de la
vie extérieure. Elle rassembla tous les souvenirs précieux qu’elle trouvait au
fur et à mesure de son avancée puis les transféra dans le salon. Elle resta plusieurs
heures à contempler ses petits totems du passé et à se souvenir. L’après-midi
elle passa son temps au jardin : elle taillada les rosiers, cueillis les
fraises, coupa des fleurs sauvages et mis de l’ordre dans la remise.
Clara se
laissa vivre trois jours dans cette douce nostalgie. Puis lassée de tant de
souvenirs, meurtrie par la disparition de ses proches et de ses années
d’innocence, elle termina de ranger quelques affaires.
Elle fit tourner une dernière fois la petite clé dans la serrure et décida qu’il était temps pour elle de vivre son présent pour devenir elle aussi un jour une grand-mère.
Elle fit tourner une dernière fois la petite clé dans la serrure et décida qu’il était temps pour elle de vivre son présent pour devenir elle aussi un jour une grand-mère.