Voici mon nouveau texte en rapport avec l'atelier d'écriture de Gwen ! Bonne lecture ;)
L'atelier c'est en cliquant sur la photo.
Et si votre paire de chaussures préférée prenait la parole, quel voyage fait ou rêvé nous raconterait-elle ?
Le texte qui suit est le récit d'un voyage réalisé en 2006. J'avais 15 ans.
Avant toute chose, il faut vous dire que je suis une paire de basket Adidas Superstar. Je suis blanche avec des rayures rose fluo. Enfin blanche, plus vraiment. Cela fait des années que ma propriétaire me trimbale. Je suis tellement abîmée qu’elle a collé du pansement dans le fond de ma semelle pour ne pas meurtrir ses pieds. J’ai aussi perdu mes lacets d’origine. Ils ont été remplacés par deux lacets différents dans des teintes bariolées qui s’accordent avec mes rayures, ce qui leur donne un look un peu « skatteur ». Je ne peux même pas dire depuis combien de temps elle me possède … c’est tellement loin que je la remercie de m’avoir abandonnée dans le placard à chaussures il y a de ça maintenant deux ans. Ce n’est pas que je ne suis plus en bon état, je pourrais sûrement encore servir un peu - sans toutefois avoir la splendeur que j’arborais au début, mais je pense que si elle ne s’est pas séparée de moi, c’est pour tous les souvenirs que l’on a ensemble. Je fais un peu partie d’elle maintenant, et je lui rappelle quelle ado elle était avant de s’effacer derrière des tailleurs noirs et des talons aiguilles … S’il y avait bien une histoire à raconter que l’on ait partagée ensemble, ce serait bien Berlin. Nous sommes parties un soir de Paris Est à bord d’un train de nuit pour arriver treize heures plus tard à la Gare Centrale de Berlin. Je me souviendrai toujours de cette nuit. Quand on est entré dans le compartiment couchette, il y avait deux Allemands avec un accent à couper au couteau. Ni une ni deux, quand le composteur est arrivé pour voir si tout se passait bien, on a demandé un compartiment libre, et ça n’a pas été facile puisque lui-même ne parlait pas un mot de français. Mais on a eu ce qu’on voulait. Le plus terrible s’était de voir Maman sur le quai qui pleurait des litres entier de larmes. Et nous, on faisait pareil. Quinze ans, seule, une nuit dans un train avec une foule d’Allemands, deux mois dans une ville inconnue remplie d’inconnus. Je peux vous assurer que je n’ai pas dormi et que j’ai longtemps croisé les doigts pour arriver à destination en un seul morceau.
J’ai été surprise à mon arrivée de constater que les températures étaient encore très fraîches pour un début de mois de mai … je ne réalisais pas encore que l’on était beaucoup plus au nord qu’en France et qu’il fallait d’ailleurs changer l’heure de ma montre. Birgit m’attendais sur le quai avec un bouquet de muguet défraîchi : avec le voyage de nuit, j’avais oublié de leur préciser que le jour de départ et celui d’arrivée n’était pas le même … ce qui lui a valu de m’attendre une bonne heure entière sur le quai la veille de mon arrivée, persuadée qu’il m’était arrivé un malheur pendant le trajet. Inutile de préciser comme j’étais monstrueusement chargée de valises et combien il fut difficile de rallier les dizaines de kilomètres séparant la maison de la gare, à pieds.
La chose qui fut sûrement la plus stupéfiante a été de découvrir ma chambre : sans aucun doute j’étais tombée en pleine Terre du Milieu. Ma correspondante, Rieke, était tout simplement une Elfe dans la vie de tous les jours. C’est ainsi que j’ai côtoyé Legolas pendant deux mois dans une église elfique remplie de bougies et d’écritures bizarres. Sans oublier le rituel du dimanche qui consistait à réunir la fratrie berlinoise de la Terre du Milieu dans une taverne digne de ce nom : il m’était toujours difficile de déterminer quels étaient ceux qui étaient réellement déguisés en nains et ceux qui ressemblaient à des hobbits parce qu’ils ne s’étaient pas lavés depuis un certain temps un peu trop long. Néanmoins, j’ai été ravie de jouer au bowling avec des oreilles pointues en robe qui s’interpelaient dans un langage suspect, surtout après quelques litres de bière (n’oublions pas que l’on parle d’Allemands !). Je n’oublierai jamais la version d’Elrond avec des dreadlocks !
Les jours ont passé les uns après les autres sans que jamais je ne ressente la moindre nostalgie. Je ne voulais plus partir, j’aurai voulu rester là-bas toute ma vie. Tout était démesurément bien : liberté, indépendance, insouciance … j’avais rencontré beaucoup de nouvelles personnes qui étaient devenues des amis, j’adorais la ville à la fois vivante et très nature, j’étais amoureuse de cette nouvelle vie où il faisait bon vivre et où chaque coin de rue réservait son lot de bonnes surprises. Je vivais sans me soucier du lendemain. J’allais simplement à l’école le matin et l’après-midi, comme tout écolier allemand, je profitais de la vie. Pour la première fois, je faisais de l’escalade. C’était une drogue. On y allait tous les après-midi. Et le soir, on festoyait. Il faisait beau, il faisait chaud, et nous, les trois Françaises, on était les coqueluches des Allemands.
D’ailleurs, la meilleure des choses qui me soit arrivée, ça a été la rencontre avec Mathilde et Amélie, deux Orléanaises qui comme moi étaient venues s’échouer à Berlin City.
Des deux, Mathilde est devenue ma meilleure amie. Il ne se passe pas un jour sans que je pense à elle, même si aujourd’hui, environ mille kilomètres nous séparent.
Ce voyage, je ne l’ai pas seulement vécu. C’était aussi un rêve qui prenait vie devant moi. C’était incroyable, la plus belle expérience de ma vie. Je donnerai tout l’or du monde pour revenir en arrière et revivre cet épisode de ma vie. J’aimerais posséder le pouvoir du magnétoscope … rembobiner encore et encore pour repasser toujours ma séquence préférée. Mais je sais que toutes les bonnes choses ont une fin. La cassette finirait par se détériorer et elle ne pourrait plus être visionnée, elle resterait simplement là sur une étagère comme un vestige d’un lointain passé, témoin d’une époque fastueuse. C’est pour ça que j’ai pleuré une journée entière. Le dernier jour à l’école. Et puis quelques-uns sont venus sur le quai pour agiter la main.
Cette fois ce n’était pas ma mère qui pleurait, c’était moi, c’était eux, c’était nous.
Je suis rentrée, et j’ai repris ma vie là où je l’avais laissée.
Mais ça a été dur.
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