Voici mon nouveau texte en rapport avec l'atelier d'écriture de Gwen. Bonne lecture ;)
L'atelier c'est en cliquant sur la photo.
La consigne (et c'est moi qui l'ai soufflée à Gwen cette fois !) :
On a tous été à un moment donné assis sur un banc quelque part. L’exercice du jour consiste à raconter une histoire, vécue ou non, qui se déroule sur un banc avec les mots en gras dans le texte.
Chaque jour depuis qu’elle avait emménagé dans cette ville, Jo courait dans le parc. Elle courait comme un vaillant petit soldat vers les coups de onze heures et ne s’arrêtait qu’une fois ses sept kilomètres parcourus. Ce qui l’avait avant tout charmée en achetant son loft ici, c’était l’immensité du parc qui s’offrait à ses pieds lorsqu’elle sortait à son balcon. Cela lui rappelait sans doute un peu la vie trépidante qu’elle avait menée à New York lorsqu’elle habitait à deux coins de rue de Central Park. Jo s’était toujours félicitée d’avoir brillamment mené sa vie : après des études acharnées largement récompensées d’excellents résultats, elle avait décroché un poste non négligeable dans une compagnie financière et avait rapidement gravi les échelons. Partout où elle passait, le monde était à ses pieds. Elle était douée et le savait, c’est pour cela qu’elle mettait toujours la barre au plus haut et qu’elle en était arrivée là à un si jeune âge. Sa carrière était toute sa vie. C’est pour cela qu’elle avait accepté de revenir quelque temps en France, pour assurer un rôle important qui lui vaudrait une renommée inégalée dans son domaine. Elle serait la Numéro Une, elle deviendrait immensément riche et respectée.
S’il y avait bien un seul loisir qu’elle s’accordait, c’était le jogging. Elle gouvernait son corps avec la même rigueur que sa carrière et savait pertinemment qu’elle n’était pas en mesure de s’octroyer quelque écart que ce soit. Son dressing représentait à lui seul plus de quarante pour cent de l’espace de son loft et elle ne connaissait pas de plus grand plaisir que d’enfiler une robe fourreau à martingale vertigineusement échancrée lors d’une cérémonie officielle de sa boîte. Le plaisir n’en était que plus grand de savoir que quelques contrats supplémentaires étaient à la clé après avoir ondulé aux côtés de clients importants. Oui, Jo ne raterait pour rien au monde sa séance quotidienne de jogging. Elle avait d’ailleurs toujours été claire avec ses employeurs sur ce point. Elle ne demandait qu’une heure de libre par jour : entre onze heures et midi. Les vingt-trois autres étaient entièrement dédiées à l’entreprise.
Jo courait. On était samedi matin et le parc était bondé de monde. Le soleil était au rendez-vous et le printemps était arrivé. Tout le monde en profitait pour mettre un peu le nez dehors. Jo détestait ça. Elle ne supportait pas de voir cette population oisive qui ne faisait que la déranger dans son activité favorite. Elle ne supportait pas non plus la vision des couples enamourés qui s’enlaçaient sur des nappes de pique-nique, les enfants braillant et ne regardant pas autour deux, les mères rondouillettes vautrées sur les bancs à cancaner avec les voisines des derniers potins … Jo se félicitait réellement de ne pas avoir de vie sociale, elle échappait à tout cela et n’en était que plus heureuse. Dans ses divagations, elle ne fit pas attention à la corde à sauter qui traînait par terre et trébucha. Elle sentit une douleur lancinante lui remonter la jambe et pour la première fois depuis une éternité, elle sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle se releva péniblement et sauta à cloche-pied jusqu’au banc le plus proche. Elle se massa la cheville et aperçut une main dotée d’une chevalière en or se tendre vers elle. Elle releva la tête et un jeune homme en costume sombre lui adressa un sourire.
« Tout va bien ? Je vous ai vu tomber, c’est une belle chute que vous avez fait là. En tout cas bravo, vous vous êtes bien rattrapée mais je crois que cette blessure mérite d’être sérieusement examinée. Je m’appelle Bertrand, vous me laissez jeter un coup d’œil ? »
« Vous êtes Docteur peut-être ? Non, alors fichez moi la paix, je ne vous ai rien demandé ! »
Le jeune homme prit un air courroucé et observa quelques secondes Jo ne sachant comment réagir. La douleur la faisait peut-être dire des choses qu’elle ne pensait pas et avait peut-être un peu honte d’être vulgairement tombée sur une corde à sauter. Mais en scrutant son regard, il comprit que ce n’était pas la peine d’insister et disparu aussitôt.
Jo était exaspérée de voir combien les hommes se jetaient sur elle pour le moindre prétexte. Elle jura et étendit ses jambes. Elle attrapa la petite gourde fixée à sa ceinture et stoppa la montre chrono fixée à son poignet. Tant pis pour les derniers cinq cents mètres qu’il restait à parcourir, son rythme cardiaque était redescendu trop bas.
Jo n’avait pas fait attention mais le banc sur lequel elle s’était assise était déjà occupé. Une petite vieille se tenait là, roulée dans ses châles avec une paire de chaussons aux pieds. Elle était toute petite, ses pieds touchaient à peine par terre et elle tenait dans sa main un sandwich de pain de mie qu’elle croquait par tous petits bouts. Posé à son côté, un panier en osier avec du pain dur, une antique radio avec l’antenne tordue qui peinait à émettre une mélodie de charleston, une gourde en aluminium, des boîtes à chat, des feuilles de salade défraîchies et une part de gâteau à la crème plutôt généreuse pour ce bout de femme tout frêle qui semblait déjà rassasié par son sandwich. Il se dégageait d’elle une odeur de vieux. Une odeur caractéristique qui rebiffa immédiatement Jo. La vieille la fixait sans faillir et semblait la détailler sous toutes les coutures. Elle avait l’air intriguée et amusée. Jo se sentit mal à l’aise. Elle aurait voulu lui lancer une phrase, un mot à la figure mais rien ne lui venait. Elle la regardait et elle se sentait lourde sur ce banc comme tassée, enracinée. La vieille continuait de la regarder intriguée en mordant dans son sandwich. Un ballon tomba près d’elles faisant partir à la volée les pigeons qui se régalaient des grosses miettes plus volontairement qu’accidentellement perdues et Jo se leva d’un bond. Elle s’en alla en boitant et se retourna avant d’atteindre le trottoir pour traverser la rue. La vieille avait sorti un tricot et semblait rire en catimini.
Deux mois passèrent et Jo pu constater chaque matin que la vieille était assise sur ce même banc. Elle portait immanquablement sa paire de chaussons et un gros châle beige. Elle était toujours affairée à nourrir des animaux, tricoter un brocart, lire un journal avec d’énormes lunettes rondes … et elle mangeait toujours quelque chose. Jamais, pas un seul jour de mauvais temps ou un dimanche la vieille n’avait manqué à l’appel. Et à chaque fois que Jo passait de l’autre côté de la mare aux canards elle s’arrêtait une minute pour l’observer. Elle se persuadait qu’elle attendait quelqu’un, ou qu’elle partait à un moment de la journée, mais plus le temps passait, moins elle en était sûr. Néanmoins, elle pouvait affirmer avec certitude qu’elle n’était pas à la rue. Ses vêtements étaient toujours lavés et repassés et elle était toujours coiffée convenablement, une broche retenant la maigre masse de cheveux blancs. Et ce dont elle était également certaine, c’est que cette petite dame lui procurait un étrange sentiment qu’elle ne connaissait pas. De la mélancolie, de la tristesse peut-être ? Son cœur se serrait à chaque fois qu’elle l’observait et il était même arrivé au bout d’un certain temps qu’elle ait envie de s’approcher pour adresser une parole gentille, lui proposer une pièce. C’était de la pitié, Jo avait pitié. Mais elle ne savait pas pourquoi. Elle l’avait surnommée, la Tortue. Elle trouvait qu’elle ressemblait à une tortue : lente, fatiguée, discrète, ridée, avec des toutes petites guibolles … et elle avait ces mêmes petits yeux noirs et perçants qui semblent supplier à tout instant. L’esprit de Jo était de plus en plus accaparé par cette petite vieille qu’elle s’était surprise lors d’une réunion à ne plus écouter, ce que son boss avait immédiatement remarqué. Préoccupé par son comportement de plus en plus rêveur et morose, il l’avait convoquée et avait exigé qu’elle prenne une semaine de repos. Jo était restée trois jours à tourner en rond dans son loft. Elle n’était même pas allée faire son jogging. Elle s’était torturée l’esprit à a la recherche d’une chose à faire. Elle avait alors admiré le vide qui remplissait sa vie : pas une photo n’était accrochée au mur, sa messagerie personnelle était irrémédiablement vide, elle n’avait pas un DVD, pas un livre, pas une idée des films à voir au cinéma ou de la façon de concocter un bon petit plat. C’est simple, elle n’avait même pas de casserole ou de poêle chez elle. Elle était incroyablement seule. Elle finit par dénicher le seul Blue Jean qu’elle possédait, l’enfila et sortit. Elle marcha jusqu’au parc et chercha la Tortue. Elle était bien là, fidèle à son poste. Jo s’avança et alla s’assoir au banc. La vieille ne la regarda pas, elle continuait de compter les mailles de son tricot. Quelque minutes s’écoulèrent et Jo lança :
« Vous portez toujours des chaussons ? »
« C’est très confortable, pourquoi je porterais des souliers ? »
Jo sourit. Pour la première fois depuis longtemps.
Je le relis et j'aime décidément beaucoup !! Je la plains sans livre et sans poêle !! J'ai hâte de lire le 4, pas eu le teùmps, le dimanche (surtout en ce moment) c'est vraiment pas un jour propice pour moi ! A la limite, donner le thème le samesi soir, qu'il fasse déjà son chemin mais là pas possible ou alors des dimanches exceptionnellement calmes !
RépondreSupprimerMerci Isa ^^ Malheureusement, tout comme toi, j'ai eu des jours très mouvementés ces derniers temps et je suis allée faire un tour chez Gwen pour dire que je ne participerai pas ... Et pour couronner le tout j'ai vu que c'était la dernière session avant septembre !!!! C'est trop nul, j'adore ce type d'exercice ... Mais bon, je suppose que c'est mieux comme ça avec les vacances et on sera tous contents de retrouver l'atelier en septembre ... quoique l'idée de créer un atelier spécial vacances en remplacement de celui de Gwen m'a frôlé l'esprit mais je ne sais pas trop ... J'ai même pas eu le temps de répondre à ton mail mais don't worry, j'y court ;) Ce matin c'est un peu plus relax pour bloguer :) Merci d'être passée Mam'zelle ^^
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